PEUT-ON ÊTRE FÉMINISTE ET AIMER LA SOUMISSION ?

Certaines se posent la question avec gêne, d’autres la formulent avec fierté. Peut-on défendre l’égalité entre les sexes, militer pour les droits des femmes, et ressentir du plaisir dans la soumission, dans le lit ou dans l’imaginaire ? La réponse est oui, mais comme souvent en matière de sexualité, c’est un oui nuancé, libre et personnel.

LA SEXUALITÉ N'EST PAS UN MANIFESTE

On attend parfois de notre sexualité qu’elle reflète parfaitement nos convictions, comme si notre lit devait obéir aux mêmes principes que notre discours public. Mais ce que l’on défend dans la société et ce que l’on ressent dans l’intimité ne sont pas toujours alignés, et ce n’est pas grave.

Notre désir est plus vaste, plus mystérieux, plus libre que nos idées. Il ne suit pas toujours une ligne droite. Il peut être traversé de contradictions, de pulsions, de scénarios surprenants  sans pour autant renier nos valeurs profondes.

Aimer qu’on nous attache, qu’on nous donne des ordres, qu’on nous prenne avec autorité dans un cadre de jeu consenti, ce n’est pas renoncer à l’égalité. Ce n’est pas dire oui à la domination dans la vie. C’est explorer, avec lucidité et liberté, une autre facette de soi. Une facette plus instinctive, plus incarnée, parfois difficile à expliquer mais profondément sincère.

Et si notre imaginaire n’est pas toujours ‘militant’, tant mieux. Il n’a pas à l’être. La sexualité ne prouve rien. Elle se vit, elle se ressent, elle se choisit, et elle n’a pas besoin d’être cohérente pour être belle.

SOUMISSION CONSENTIE ≠ DOMINATION SUBIE

Ce qui distingue radicalement une pratique libre d’un rapport de force toxique, c’est le consentement. Pas seulement un oui rapide ou poli, mais un consentement clair, informé, enthousiaste, et renouvelable. Une femme qui choisit de se soumettre dans un cadre intime ne renonce pas à sa liberté, elle l’exerce. Elle définit les contours du jeu, ses règles, ses limites, ses arrêts. Elle a le droit de dire ‘non’, de dire ‘stop’, de dire ‘j’ai changé d’avis’, et c’est ça qui change tout.

Il y a un paradoxe très révélateur dans certaines pratiques BDSM, plus une scène est intense, plus elle est préparée, sécurisée, encadrée. Derrière un jeu de pouvoir, il y a un véritable contrat implicite (ou explicite), une écoute permanente, une vigilance mutuelle. Ce n’est pas un rapport subi, c’est un scénario choisi, où chacun(e) connaît son rôle et peut en sortir à tout moment.

Dans ce cadre, la personne dite ‘soumise’ est loin d’être passive. Elle est au contraire très active dans le processus. C’est elle qui décide ce qui est acceptable, ce qui est plaisant, ce qui est hors-jeu. Le dominant n’a aucun pouvoir sans son accord. Il ne ‘prend’ pas, il reçoit la permission de guider, et cela change profondément la nature de la relation.

La soumission consentie, c’est jouer à ne pas avoir le pouvoir tout en le gardant en main. C’est une forme d’expression de soi, une recherche de sensations, de vulnérabilité offerte mais jamais imposée. C’est parfois même une manière de se reconnecter à son corps, à ses émotions, de reprendre possession de son plaisir.

DÉSIRER ÊTRE SOUMISE NE VEUT PAS DIRE ÊTRE SOUMISE DANS LA VIE

On peut être indépendante, affirmée, engagée dans ses choix et aimer baisser les yeux, obéir, se laisser guider dans l’intimité. L’un n’annule pas l’autre. Il ne s’agit pas de contradiction, mais de complémentarité.
Dans la vie quotidienne, beaucoup de femmes portent beaucoup: responsabilités, charge mentale, émotions des autres, organisation, décisions. Et dans ce contexte, le fantasme de soumission peut devenir une respiration.

Ce n’est pas renoncer à son autonomie, c’est s’autoriser à la suspendre pour un temps choisi. Ne plus diriger, ne plus planifier, ne plus réfléchir. Laisser quelqu’un d’autre prendre les commandes, dans un cadre de confiance, c’est parfois profondément reposant, et même  érotique.

Dans une société où l’on attend des femmes qu’elles soient fortes, performantes, disponibles et impeccables, le désir de lâcher prise n’est pas une faiblesse. C’est une forme de rééquilibrage. Une soupape. Une manière de retrouver du plaisir là où, justement, on ne contrôle plus tout.

Et il faut le redire, ce choix est un pouvoir. Choisir de jouer la soumise dans l’intimité, c’est rester souveraine sur sa sexualité. C’est décider, pour soi, d’un rôle, d’une posture, d’un fantasme. Ce n’est pas s’abandonner à quelqu’un, c’est s’offrir une expérience de plaisir, d’abandon, de confiance sur mesure.

LES FANTASMES NE SONT PAS DES PROGRAMMES POLITIQUES

Il faut aussi rappeler qu’un fantasme n’a pas besoin d’être ‘cohérent’, encore moins ‘moralement correct’. Il ne suit pas une ligne idéologique. Il n’est pas là pour défendre une cause ou illustrer une pensée structurée. Un fantasme, c’est un terrain de jeu mental, pas un manifeste.

Beaucoup de femmes (et d’hommes) fantasment sur des scénarios qui, dans la vraie vie, seraient inacceptables: être dominée, attachée, forcée, exhibée. Ces images peuvent déranger, mais ce qu’elles révèlent, ce n’est pas une adhésion à une forme de violence, c’est le besoin d’explorer certaines zones sensibles de notre imaginaire, là où se mélangent intensité, lâcher-prise, pulsion et transgression.

Imaginer qu’on est prise sans demander son avis, dans un fantasme, ce n’est pas vouloir subir une agression. C’est jouer avec l’idée du pouvoir renversé, de la surprise, de l’abandon total. C’est parfois une manière, paradoxalement, de reprendre le contrôle sur ses peurs ou ses zones d’ombre, de transformer quelque chose de potentiellement violent en quelque chose de sexuellement maîtrisé, codifié, sécurisé dans sa tête ou dans un jeu consenti.

Et si on regarde bien, c’est justement parce que l’on est en sécurité dans la vraie vie qu’un fantasme transgressif peut exciter. Il y a un plaisir à flirter avec l’interdit, tout en sachant qu’il n’aura pas de conséquences. C’est une fiction personnelle, une mise en scène mentale, souvent très codée, qui appartient à soi et à personne d’autre.

ÊTRE FÉMINISTE, C'EST D'AVOIR LE DROIT DE CHOISIR

Le féminisme ne dicte pas ce qu’il faut aimer. Il ne trace pas les contours d’un désir ‘correct’ ou d’une sexualité ‘modèle’. Le cœur du féminisme, c’est le droit de choisir pour soi. Choisir sa vie, son corps, ses engagements mais aussi ses fantasmes, ses jeux, ses préférences intimes.

Dire ‘oui’ à des pratiques de soumission, à des mises en scène de domination, à un rôle de partenaire passive ou guidée, ce n’est pas renoncer à l’égalité. C’est incarner pleinement sa liberté. Une liberté de ressentir, d’explorer, de se raconter autrement. Si une femme dit : ‘c’est ce qui me fait du bien, c’est ce que je veux vivre ici et maintenant‘, alors c’est du féminisme en action.

Et si elle dit l’inverse demain ? Si elle dit ‘je n’en veux plus’, ou ‘je veux autre chose’ ? Ce sera encore du féminisme, parce que ce qui compte, ce n’est pas la forme que prend le plaisir, c’est la souveraineté qu’on garde sur lui.

Le droit de dire oui aujourd’hui, non demain, de changer d’avis, de se redéfinir, d’être plurielle, paradoxale, vivante. Tant que le choix vient de soi, qu’il est libre, éclairé, respecté, aucun désir ne fait reculer les droits des femmes. C’est même tout l’inverse. Chaque femme qui ose habiter son désir à sa manière agrandit l’espace des possibles pour toutes les autres.

EN RÉSUMÉ

Oui, on peut aimer se faire dominer et rester féministe jusqu’au bout des ongles. Ce n’est pas une contradiction, c’est une affirmation de soi.

Parce que le féminisme ne réside pas dans une posture unique ou une liste de comportements ‘valides’, mais dans la liberté de décider pour soi-même. Aimer obéir dans le lit n’efface en rien la force de dire non dans la vie, aimer être prise en main n’annule pas le fait d’être aux commandes de sa trajectoire.

Le vrai pouvoir ne se mesure pas à l’image que l’on donne, mais à la capacité de dire : ‘C’est moi qui choisis ». Choisir son plaisir, ses règles, ses limites, ses explorations, choisir aujourd’hui une chose, et peut-être autre chose demain.

Être féministe, c’est justement revendiquer cette complexité-là. Ne plus avoir à s’excuser d’aimer, de désirer, de rêver même quand c’est flou, intense, paradoxal, ou difficile à expliquer. C’est habiter son corps avec fierté, même quand il obéit, et ça c’est puissamment politique.

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